A l’association 3/6/9/12, nous aimons beaucoup évoquer la métaphore alimentaire pour nous guider dans nos consommations d’écrans. Mais en pratique, qu’est-ce que cela signifie ? Tout d’abord, nous savons bien qu’il n’est pas nécessaire de nous mettre à table avec des amis, ni même tout seul. Nous pouvons manger un sandwich en marchant ou prendre dans notre réfrigérateur une alimentation toute préparée. Pourtant, dans toutes les cultures, l’alimentation a fait l’objet de nombreux rituels par lesquels l’être humain a socialisé cette activité de façon à en faire un moment de créativité et de partage.
A l’association 3/6/9/12, c’est ce que nous prétendons qu’il est possible de faire avec les écrans.
Pour le comprendre, prenons neuf domaines importants des rituels alimentaires et voyons quelles conséquences cela peut avoir pour l’organisation de nos consommations d’écran, individuelle, familiale et sociale.
1. Tout d’abord, les mamans, et aussi les papas, savent bien qu’il n’est pas opportun de mettre des biftecks, des frites ou des spaghettis dans le biberon du bébé. Cela ne veut pas dire que ces aliments soient toxiques, car alors ils le seraient à tout âge et il faudrait les bannir de notre alimentation. Cela signifie que le système digestif du bébé n’est pas adapté. De la même façon, le système mental du bébé n’est pas adapté pour tirer profit des écrans. Le jeune enfant n’a pas la capacité de recul suffisante, ni par rapport au contenu des images, ni par rapport aux émotions qu’elles suscitent en lui.
2. En second lieu, dans toutes les cultures, les enfants sont invités à respecter le rythme des repas, c’est-à-dire à manger à heure fixe. Autrement dit : « On ne grignote pas toute la journée. » De la même façon, évitons de grignoter nos écrans toute la journée. En tant qu’adulte, fixons-nous des tranches horaires pendant lesquels nous consultons nos écrans et invitons nos enfants à faire de même. Aussitôt que nous introduisons un écran dans la vie d’un enfant, faisons-le en ritualisant en ce moment, et pour cela, donnons lui un cadre horaire constant d’un jour sur l’autre, par exemple de 17h30 à 18 heures ou de 18 heures à 19 heures. Et fixons de préférence ce moment avant une activité qu’il n’est pas possible de déplacer, par exemple le bain ou le repas du soir.
3. Nous savons tous que l’un des plaisirs du restaurant, c’est de pouvoir choisir ! Exercer sa capacité de choix face à une offre de nourriture est plus satisfaisant que de manger simplement ce qu’on nous sert. De la même façon, faisons en sorte que notre enfant dispose d’une petite DVDthèque , deux à trois titres suffisent, de telle façon qu’il puisse choisir de regarder l’un ou l’autre selon les jours. Il se percevra plus facilement comme un citoyen du monde. En outre, en regardant plusieurs fois les mêmes programmes, il les comprendra mieux.
4. Nous ne mangeons pas dans le plat, mais dans une assiette. L’assiette représente pour chacun de nous une portion de nourriture, et c’est seulement après avoir fini que nous pouvons éventuellement avoir droit à une seconde portion. Le problème de la télévision, mais aussi de Netflix, de YouTube et de tous les fournisseurs d’accès, c’est qu’elle propose à l’enfant un continuum de programmes sans aucune interruption entre chacun. Un peu comme si l’assiette de l’enfant se remplissait automatiquement aussitôt qu’il l’a vidé. Il est bien évident que dans ces conditions beaucoup mangeraient trop ! Le DVD permet non seulement à l’enfant de regarder les programmes qui l’intéressent, mais aussi de regarder un programme qui se termine et après lequel il est possible de passer à une autre activité.
5. Nous savons bien que manger ensemble est souvent plus agréable que manger seul. Privilégions chez nos enfants les activités d’écran partagé. Établissons le rituel d’un long métrage regardé ensemble une fois par semaine, et préférons les jeux vidéo qu’on joue à plusieurs, de préférence en proximité physique, à ceux qu’on joue seul.
6. On ne laisse pas un enfant ou un adolescent emporter un paquet de biscuits dans sa chambre pour le consommer pendant la nuit. Évitons de la même façon qu’il emporte son téléphone mobile dans sa chambre. Et pour cela, fixons comme règle familiale que chacun laisse chaque soir son téléphone mobile sur la table du petit déjeuner pour le retrouver le lendemain matin.
7. Chacun sait bien que pendant un repas, les commentaires sur la nourriture sont les bienvenus. Cela permet de parler un peu du plat que l’on mange, mais aussi de ceux, semblables ou différents, qu’on a consommés en d’autres circonstances. Et la conversation s’anime ! De la même façon, parlons des écrans. En 1998, j’ai écrit un livre qui s’appelait Y a-t-il un pilote dans l’image ? J’y écrivais déjà : « La télé ce n’est pas seulement ce que l’on regarde, c’est ce dont on parle. »
8. Si manger ensemble est agréable, manger la nourriture fabriquée par l’un d’entre nous l’est plus encore. Apprenons à fabriquer nos propres images et apprenons à nos enfants à fabriquer les leurs. À partir de l’âge de six ans, n’hésitons pas à confier un appareil photographique numérique à notre enfant. Il nous permettra de voir le monde en quelque sorte avec ses yeux ! Il existe aussi des logiciels gratuits d’initiation à la programmation comme Scratch, et d’autres de fabrication de Stop movie, c’est-à-dire de films image par image.
9. Enfin, n’oublions pas le grand changement qui s’est opéré dans notre relation à la nourriture depuis quelques années. Alors que précédemment, l’accent était mis sur la nécessité de manger moins, il est mis aujourd’hui sur la nécessité de manger mieux. Bien sûr, quelques-uns d’entre nous mangent trop, mais ce ne sont pas forcément les plus gros ! L’obésité peut être liée à beaucoup d’autres facteurs. En revanche, ce qui est largement démontré, c’est que nous mangeons tous mal, et même très mal… C’est exactement la même chose avec les écrans. Bien sûr, certains en consomment trop. Ce ne sont pas d’ailleurs forcément ceux qui vont le plus mal. Il est possible de consommer peu d’écran, mais d’une façon préjudiciable à la vie sociale et à l’équilibre mental, notamment en surexposant son intimité ou en s’engageant dans des pratiques haineuses. Mais il est possible aussi de faire des écrans un usage créatif et socialisant, notamment à travers les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Le problème de la plupart d’entre nous, ce n’est pas le temps que nous passons sur les écrans, c’est le fait que nous y avons des activités souvent répétitives, stéréotypées, peu créatives et peu socialisantes. Il a été montré que les personnes en souffrance, qu’il s’agisse de souffrance psychique et/ou de souffrance sociale, sont bien souvent celles qui utilisent le plus mal les médias numériques.
C’est pour toutes ces raisons qu’à l’association 3/6/9/12, nous invitons à socialiser notre relation aux écrans exactement de la même façon que nous avons socialisé notre relation à la nourriture. Dans un cas comme dans l’autre, nous y gagnerons à la fois en équilibre personnel et en sérénité familiale, et nos enfants apprendrons sans crise et sans douleur une bonne gestion des écrans.